La sentinelle est cette lampe, haute sur pied, qu’on allume sur la scène vide d’un théâtre quand il est plongé dans le noir à la fin de chaque représentation. Quand le public et les acteurs quittent la salle, la servante, ou la « ghost lamp » en référence aux fantômes qui hantent le théâtre quand il se vide, veille pour s’assurer que la lumière ne s’éteigne jamais. Dans les circonstances actuelles, les sentinelles de chaque théâtre sont allumées à temps plein et sont les seules à avoir gardé leur poste. Et par solidarité envers tous les artistes et artisans qui ont vu les projecteurs s’éteindre, les ampoules des servantes ont pris la couleur rouge.
Depuis octobre dernier, suite à la deuxième vague de fermeture, c’est seulement sous la lumière bleue de nos écrans que l’on peut consommer un semblant de notre culture. Si l’on demande aux artistes de se réinventer face à ce nouveau monde, on oublie de se questionner sur les répercussions que cela aura sur notre identité collective. Sommes-nous en train de contraindre l’imaginaire dans des enclos virtuels que nous construisons tranquillement en les croyant provisoires? Est-ce que dans les mots « réinventez-vous » se trouve un « réorientez-vous » implicite?
Cette série photographique expose différentes sphères artistiques qui ont vu les projecteurs s’éteindre sur leur milieu. C’est une ode à leur apport dans notre société. Un appel à la réflexion. Un milieu culturel riche encourage à se poser des questions, à accepter la différence, à embrasser la beauté marginale afin de se créer une identité qui nous est propre. Si le projet naît d’une colère, d’un besoin de révolte face à une situation qui semble injuste, il se transforme vers un besoin de partager un désarroi. Un besoin d’ouvrir la discussion sur la place qu’on laisse à la culture au Québec. Dans les faits, la présence de cette crise sanitaire n’a fait qu’exacerber la fragilité d’un milieu qui souffre de dévalorisation depuis déjà trop longtemps. C’est un manque d’investissement et de reconnaissance d’un pan complet d’une société qui transparaît au travers du paysage culturel désertique qui nous est imposé.
Oublions-nous l’importance du travail de nos artistes?
Il est temps de reconnaître la culture comme un pilier économique important. Elle n’est pas qu’une dépense, qu’un divertissement. Elle crée des emplois. Elle crée notre patrimoine immatériel. Elle garde notre histoire en vie. Elle nous rassemble et nous fait progresser en tant que peuple. L’art nous permet de se transporter dans un monde imaginaire, pour nous aider mieux à comprendre, accepter et tolérer celui dans lequel nous vivons.
Dans une ère où nous semblons être divisés plus que jamais, cette crise nous aura fait comprendre à quel point les humains que nous sommes ont un besoin de se réunir et de sentir leur coeur vibrer au même diapason. Dans une ère nouvelle où l’on catégorise les métiers par « essentiels ou non-essentiels », tous sont laissés à questionner et chercher leurs valeurs dans la société. Dans cette ère, les gens sont en quête de sens et ne cherchent qu'à ressentir des émotions qui leur rappellent le bonheur de vivre et non seulement de survivre.
N’est-ce pas là une ère où plus que jamais l’artiste devrait être mis en lumière?
N’est-ce pas là que son rôle prend tout son sens?